récit de vie

«  Bonjour, Monsieur. Asseyez-vous, je vous en prie, dis-je en lui serrant la main. »

Je le laisse regarder autour de lui, j’attends de savoir s’il va parler le premier mais pour ne pas rendre cette attente trop longue, je finis par lui demander :

«  Que puis-je faire pour vous, Monsieur ?

- Ben, v’là, j’ai demandé à l’instituteur de mon petit-fils et y m’a dit que j’devais venir vous voir…Je voudrais raconter ma vie à mon petit-fils. Il est en CM2 et l’an prochain, il va aller au collège. Moi, j’y ai pas beaucoup mis les pieds, à l’école, mais lui, ça va, il aime bien…Bon, alors, moi, j’sais pas trop écrire, y faut réfléchir et c’est pas mon truc alors voilà…est-ce que…est-ce que vous pouvez écrire pour moi ?

- Et pourquoi voulez-vous lui écrire ? Pourquoi ne pas raconter tout simplement ?

- Ben, pour qu’il garde le livre, tiens !

- Vous voulez donc écrire le livre de votre vie, donc, Monsieur, c’est bien ça ?

- Ouais, enfin, pas tout à fait un gros livre, non, je veux pas lui raconter toute ma vie mais je veux surtout lui parler de mon métier…

- Quel est votre métier, Monsieur ?

- Agriculteur. Mais quand j’étais jeune, j’élevais mes bêtes, alors c’est ça que je veux qu’il découvre parce qu’il y a des choses qui existent plus, vous comprenez…

- Tout à fait, Monsieur, vous voulez effectuer une démarche mémoriale…

- Oui, c’est ça. Vous le mettrez, ce mot, hein, dans votre livre ? Il est intelligent, mon petit-fils, il va comprendre.

- Si je puis me permettre, ce ne sera pas mon livre, ce sera plutôt un récit, d’ailleurs, on appelle même ça un récit de vie, mais ce sera surtout le récit de votre vie, Monsieur. Il me faut donc connaître vos exigences au niveau de la forme que vous souhaitez lui donner. Je vous explique : quand on écrit un récit de vie, on peut soit l’écrire à la première personne, ce qui rend le récit plus vivant ou alors à la troisième personne.

- Je sais pas trop, moi…Je ne lis jamais…

- Si vous voulez, je peux faire un essai en utilisant je et un autre essai en utilisant il. Je peux aussi vous montrer des extraits d’autres récits de vie, qu’en pensez-vous ? Rassurez-vous, des extraits très courts qui ne dépassent pas une page…

- Ca prendra du temps à écrire ?

- Vous avez un délai à respecter ?

- Ben, soit je lui offre quand il passe en sixième, soit en janvier pour son anniversaire alors c’est pas urgent, non plus.

- Bien. Dans ce cas, j’ai une autre proposition à vous faire. Je vais retranscrire l’entretien que nous avons à cet instant même. Comme cela, votre petit-fils sera au courant de la raison de votre démarche. Et vous, cela vous permettra au prochain rendez-vous de juger si vous voulez continuer ou non, après avoir lu mes écrits. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que je facture obligatoirement les deux premières prestations à l’heure et non selon le service proposé.

- Vous savez, comme c’est pour un cadeau, l’argent ça compte pas. Je veux juste que le petit soit content…

- Je comprends tout à fait, Monsieur. Je reçois de plus en plus de personnes qui souhaitent que j’écrive un récit de vie.

- S’scusez-moi, Madame, mais je vais devoir y aller.

- Mais oui, Monsieur, allez-y. Quand pouvons-nous nous revoir ?

- La semaine prochaine, à la même heure, ça vous va ?

Je prends mon agenda dans le tiroir, je le consulte et lui indique que je suis disponible. Il s’en va.

La semaine suivante, il revient. Je lui montre un extrait du premier entretien et comme il en est satisfait, ce grand-père devient un de mes clients et me raconte sa vie, sobrement, cherchant ses mots parfois mais toujours en pensant à la joie de son petit-fils.